Culture(s)

Les dÿurs

Au cours de l’ère tribale, les dÿurs comptaient parmi les personnages les plus importants de la société koroïenne. Longtemps tenus par les histoiriens pour de simples prêtres et prêtresses chargés de l’organisation du culte, il est aujourd’hui démontré que leur rôle s’avérait en réalité bien plus étendu. Si leur fonction première fut effectivement d’entretenir la relation entre les hommes et leurs divinités, ils étaient également considérés comme les gardiens du savoir, et l’on faisait appel à eux tant pour des questions spirituelles que pour des affaires scientifiques, herméneutiques, juridiques et dans le cadre de bien d’autres activités de prestige.

Au sein de la communauté histoirienne, plusieurs théories s’opposent pour expliquer l’origine des dÿurs : d’aucuns les considèrent comme les héritiers de traditions ancestrales déjà présentes durant l’ère archaïque et, de fait, comme les descendants des guérisseurs et des sorciers des peuplades primitives, tandis d’autres présument plutôt l’influence d’autres civilisations extra-koroïennes qui, au gré des âges, seraient entrées en contact avec les peuples de ce monde et se trouveraient à l’origine de ce statut clérical particulier. Comme bien souvent, les hypothèses mythoscientifiques préfèrent s’appuyer sur la mythologie pour sonder la réalité historique. Selon de nombreux mythes koroïens plus ou moins célèbres, c’est le divin Létro qui, jadis, décida de faire connaître les volontés divines à l’humanité en transmettant son savoir au mythique Turnag. Celui-ci, dès lors élevé au rang de premier dÿur, chercha à son tour de nouveaux initiés propres à devenir les gardiens de la sagesse ancestrale, ainsi que les garants auprès des peuples de la communication avec le divin. Ces initiés eurent à leur tour d’autres initiés, qui eurent eux-mêmes des initiés, propageant auprès d’une poignée d’élus, génération après génération, les mystères les plus sacrés de la religion koroïenne.

Si leur rôle peut varier selon les différentes traditions tribales présentes sur Koro, on reconnaît d’ordinaire aux dÿurs la même fonction primordiale : en leur qualité de ministre du culte, ils sont ceux qui, au sein de la tribu, accomplissent la très grande majorité des rites religieux. Ils organisent les cérémonies, prononcent les discours invocatoires, procèdent aux sacrifices, interprètent les prophéties… toutes ces tâches nécessitant une grande connaissance de l’ordre cosmique et des mythes évoquant les épopées de leurs ancêtres. S’ils consacrent généralement leur foi à une divinité particulière, ils se doivent de prier et de respecter l’intégralité du panthéon koroïen afin de pouvoir agir en toutes circonstances. En effet, le lien des dÿurs à la spiritualité ne cesse pas hors des célébrations, et toutes les activités requérant leur sagesse et leur érudition sont dédiées aux divers dieux et déesses de Koro. Aussi, c’est aux noms de Pulpula ou d’Alokîn que les dÿurs rendent leurs jugements lors des procès de justice, tout comme c’est en s’inclinant devant Tonq ou Létro qu’ils s’adonnent d’ordinaire à leurs recherches expérimentales.

S’ils sont le plus souvent rattachés à une tribu – que ce soit par naissance ou par libre choix – afin de faire l’intermédiaire entre ses membres et les instances célestes, les dÿurs ne reconnaissent qu’une seule et unique autorité séculière : celle de l’Ordre. Sur Koro, l’organisation religieuse respecte une stricte hiérarchie. Les initiés doivent se soumettre à de nombreuses années d’un laborieux apprentissage avant de pouvoir prétendre revêtir l’onob et la gatali, symboles de leur appartenance définitive à la caste ecclésiastique. Mais c’est une route bien plus longue encore qui ne peut mener que quelques rares élus jusqu’au prestigieux statut de haut-dÿur, dès lors autorisés à siéger à l’Assemblée annuelle de l’Ordre dÿural au sein du jardin sacré des Turnags. Enfin, au sein de cette élite, seul l’un d’entre eux pourra prétendre au rang suprême d’orbidÿur, choisi par son prédécesseur au moment de son agonie, et assumant dès lors cette souveraine fonction jusqu’à sa propre mort.

En guise de conclusion à cette trop brève présentation d’une institution d’une extrême complexité, nous nous contenterons d’affirmer que l’histoire de Koro eût été fort différente sans la présence, par l’intermédiaire des dÿurs, d’une relation systématique au divin. On ne peut que déplorer la perte de pareilles connexions dans notre univers contemporain, cette fade réalité qui semble devoir nous livrer à la fatalité d’une destinée toujours plus exempte de la glorieuse spiritualité d’antan. Aussi est-ce l’un des intérêts de l’œuvre d’Ylanë Maÿvis que de nous permettre, d’une certaine manière, de la redécouvrir et – pourquoi pas – de nous la réapproprier.